Page:Fielding - Tom Jones ou Histoire d'un enfant trouvé, tome 3.djvu/356

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lui, et Sophie parut disposée à écouter une demande bien différente. Tous deux, en un mot, avant de s’en apercevoir, avoient été si loin, que Jones laissa échapper quelques mots assez semblables à une proposition de mariage. Sophie répondit, que si le respect qu’elle devoit à son père ne lui défendoit pas de suivre sa propre inclination, elle préféreroit la pauvreté avec lui à la plus brillante fortune avec un autre.

À ce mot de pauvreté, Jones tressaillit ; il abandonna la main de Sophie qu’il tenoit dans la sienne, et s’écria en se frappant la poitrine : « Ô Sophie ! puis-je consentir à ta ruine ? Non, j’en atteste le ciel ; non, je suis incapable d’une telle lâcheté. Chère Sophie, je renoncerai à vous, quoi qu’il m’en coûte ; je vous fuirai, j’étoufferai dans mon cœur des espérances ennemies de votre bonheur ; je conserverai toute la vie mon amour, mais en silence, mais loin de vous, dans une terre étrangère d’où les accents de mon désespoir ne viendront jamais frapper, ni blesser votre oreille, et quand je ne serai plus… » Il vouloit poursuivre, il en fut empêché par un torrent de larmes que répandoit Sophie appuyée sur sa poitrine, et hors d’état de proférer une seule parole. Il essuya ces larmes précieuses avec des baisers qu’elle lui laissa prendre pendant quelques moments, sans opposer aucune résistance. Revenue