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Page:Flammarion - La Planète Mars et ses conditions d’habitabilité, tome 2, 1909.djvu/166

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CAMPBELL. L’ATMOSPHÈRE DE MARS.

enveloppe si mince et complètement transparente pour l’œil, la surface de la Terre resterait à une température étouffante.

Il y a quelques années, on a publié un livre remarquable par le charme du style et l’ingéniosité des raisonnements pour prouver que les planètes les plus éloignées de notre système sont inhabitables. En appliquant la loi de la raison inverse des carrés de leurs distances du Soleil, on trouve que la diminution de température doit être si grande que la vie humaine serait impossible dans celles qui sont les plus éloignées ; mais, dans ces calculs, on a omis l’influence de l’enveloppe atmosphérique, et cette omission fausse tout le raisonnement. Il est très possible d’imaginer une atmosphère qui jouerait, pour les rayons solaires, le rôle de barbes de plume, leur permettant d’arriver à la planète sans leur permettre de la quitter. Par exemple, une couche d’air de 2 pouces d’épaisseur, saturée de vapeur d’éther sulfurique, offrirait une très faible résistance au passage des rayons solaires ; mais j’ai trouvé qu’elle intercepterait 35 pour 100 de la radiation planétaire. Il n’y aurait pas besoin d’une couche d’une épaisseur démesurée pour doubler cette absorption ; et il est bien évident qu’avec une enveloppe protectrice de ce genre, qui permettrait à la chaleur d’entrer, et l’empêcherait de sortir, on aurait des climats tempérés à la surface des planètes les plus éloignées[1].

C’est, du reste, comme on le sait depuis longtemps, ce qui existe dans notre atmosphère terrestre, en vertu des propriétés de la vapeur d’eau. L’atmosphère agit comme une serre. Elle laisse arriver les rayons du Soleil jusqu’à la surface du sol, mais ensuite elle les retient et s’oppose à ce que la chaleur emmagasinée s’échappe dans l’espace. Sans l’atmosphère, toute la chaleur solaire reçue pendant le jour fuirait pendant la nuit, et la surface du sol serait gelée chaque nuit, en été comme en hiver. Les molécules d’oxygène et d’azote, c’est-à-dire l’air proprement dit, sont à peu près indifférentes et laissent tranquillement perdre cette précieuse chaleur. Mais il y a dans l’air de la vapeur d’eau en suspension, à l’état de gaz invisible. C’est cet élément qui est le plus efficace. Le pouvoir absorbant d’une molécule de vapeur aqueuse est 16 000 fois supérieur à celui d’une molécule d’air sec ! Cette vapeur est une couverture plus salutaire pour la vie végétale que nos vêtements ne le sont dans les plus grands froids. Supprimez pendant une seule nuit la vapeur aqueuse contenue dans l’air qui couvre la France, et vous détruirez, par ce seul fait, toutes les plantes que le froid fait mourir, la chaleur de nos champs et de nos jardins se répandra sans retour dans l’espace, et, lorsque le Soleil se lèvera, il n’éclairera plus qu’un champ de glace.

  1. Tyndall, La Chaleur, mode de mouvement, 2e édition française, p. 401-403.