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XXXVI
SOUVENIRS INTIMES

voilés, les plus intimes. Un fait dans un journal, une historiette drôle sur des gens qu’il connaissait, des âneries dites par des plumes autorisées, la manifestation de leur amour-propre ou de leur cupidité étaient autant de sujets d’expérience qu’il consignait et glissait dans des cartons ; il ne comprenait pas que l’Art amenât la préoccupation du lucre, l’argent ne pouvant payer selon lui l’effort de l’artiste, et entre les cinq cents francs que l’éditeur Michel Lévy lui remit pour l’exploitation pendant cinq ans de Madame Bovary et les dix mille francs qu’il recevait quelques années plus tard pour Salammbô, il ne voyait guère de différence.

Dans ses carnets de voyage, à dix-sept ans, aux Pyrénées, il relève, au lac de Gaube et à l’auberge près de Gavarnie, les réflexions les plus ineptes écrites par des voyageurs. C’est déjà le commencement du Dictionnaire des idées reçues, de Bouvard et Pécuchet. Cette compréhension si forte du comique était l’utile opposition de son amour de l’idéal, comme son goût pour les farces corrigeait sa mélancolie native.

III

En 1875, des pertes d’argent considérables changèrent notre position. Mon mari vit tout son avoir disparaître dans des opérations commerciales. Mariée sous le régime dotal si commun en Normandie, je ne pouvais disposer que d’une partie de mes biens en sa faveur ; mon oncle me remplaça, et avec une générosité toute spontanée donna tout ce qu’il possédait pour sauver notre situation. Il ne lui resta plus pour vivre que la rente que nous nous engagions à lui faire et le produit très médiocre de ses œuvres. Vendre Croisset