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CORRESPONDANCE

de bourgeois que je n’oublierai pas et que je n’eusse pas trouvés. Ainsi, béni soit-il ! Premier mot, à propos de poisson : « Le poisson est exorbitamment cher ; on ne peut pas en approcher. » Approcher du poisson ! énorme !!! Deuxième mot, à propos de la Suisse, que ce monsieur a vue ; c’était à l’occasion d’une masse de glace se détachant d’un glacier : « C’était magnifique et notre guide nous disait que nous étions bien heureux de nous trouver là, et qu’un Anglais aurait payé 1 000 francs pour voir ça. » L’éternel Anglais payant, encore plus énorme !

Qui te fait penser que je me souciais peu de savoir l’issue de la visite du Philosophe (tu as bien fait ; reste inflexible pour la pension) parce que je n’avais pas pu venir mercredi soir, harassé que j’étais de courses et d’affaires ? Ah ! Louise, Louise, sais-tu que, moi, je ne t’ai jamais dit le quart des choses dures que tu m’écris, moi qui suis si dur, à ce que tu prétends, et « qui n’ai pas l’ombre d’une apparence de tendresse pour toi » ? Cela te navre profondément, et moi aussi, et plus que je ne dis et ne le dirai jamais. Mais quand on écrit de pareilles choses, de deux choses l’une : ou on les pense, ou on ne les pense pas. Si on ne les pense pas, si c’est une figure de rhétorique, elle est atroce, et si l’on ne fait qu’exprimer littéralement sa conviction, ne vaudrait-il pas mieux fermer sa porte aux gens tout net ? Tu te plains tant de ma personnalité maladive (ô Du Camp, grand homme ! et combien nous t’avons tous calomnié !) et de mon manque de dévouement que je finis par trouver cela d’un grotesque amer. Mon égoïsme tant reproché redouble, à force de me