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Elle se voile les yeux de sa main qui est fine et longue encore que meurtrie par les rudesses du travail quotidien. Et ainsi, enfermée dans sa méditation, on n’aperçoit presque plus rien de son visage.

— Cherchez bien, dit Aloys.

Elle cherche. Tout entière à l’incantation laborieuse, on voit entre ses doigts quelques-uns de ses traits qui se crispent sous l’effort de contention qu’elle s’impose. C’est en vain pourtant. Elle ne trouve pas. Puis tout à coup, elle a un cri de triomphe :

— Vous vous appelez… Dites.

Mais sa langue ne formule pas l’impulsion imprécise qu’elle a reçue.

— Il y a un l…, il y a un y… On dirait un mot qui ressemble au mot lys.

Aloys est un peu pâle. Ce petit organisme féminin que la passion exalte au point suprême, ne va-t-il pas éclater tout à coup comme ces bulles fragiles qui montent jusqu’au moment où leurs parois délicieusement irisées dépassent les limites extrêmes de la résistance et où elles retombent sur le sol en un mince flocon gris.

— Et vous, demande-t-il à son tour, quel est votre nom ?

Elle ose à peine : son nom est si simple, si répandu.

— Jeanne.

— Jeanne ? dit-il.

Il a prononcé cette syllabe unique d’une voix où il semble avoir un charme si pénétrant que, tout d’abord, elle n’a pas reconnu son propre nom. Et elle répéta :

— Jeanne !

Et lui, de nouveau, il dit le mot : Jeanne, et, de nouveau, c’est comme une caresse ineffable,

— Ce nom ne vous déplaît pas ?

Elle est venue d’un mouvement confiant et félin s’asseoir sur les genoux d’Aloys. Elle se pelotonne contre lui comme un enfant frileux qui a besoin de tendresse et de chaleur. Ses grands yeux, à peine un peu voilés par l’image du désir voluptueux qui la pénètre sont pleins d’une lumière bleu et or.

Aloys regarde l’être charmant qu’il berce dans ses bras. Quel destin inattendu lui confie, dans ce décor de misère et de solitude, ce cœur dévoué ? Une journée d’amour ! C’est toute la part qu’elle réclame de la fête immense dont le bruit est venu jusqu’à elle. Pauvresse, elle a demandé cette aumône de joie au passant dont la physionomie lui a inspiré confiance. Or, voici qu’il est là, maintenant, avec le merveilleux trésor qu’il presse doucement contre son cœur d’homme. Et il songe à ce poème inachevé qu’il a laissé sur sa table de travail. Il y a quelques instants, il répandait l’or de son âme sur l’humanité tout entière. Il y a quelques instants, il était le dispensateur élu qui enrichissait le monde de sa propre substance. Serait-il si dénué soudain, qu’il ne pût donner à cette chère et pitoyable mendiante pressée contre lui, que la part juste qu’elle attend, dans son humilité de pauvre être abandonné ?… Il se penche vers elle et à l’oreille, comme un murmure, il dit :

— Jeanne !… C’est ma vie entière que je vous donne !

Mais elle s’est redressée. Elle a pris sa tête dans ses deux mains. Ses cheveux tombent défaits en ruissellement blond autour d’elle. Il y a dans ses yeux, dans sa bouche, dans son cri, quelque chose de suprême, de déchirant et de désespéré :

— Non ! non !… Ne dites pas cela !… Je ne veux pas !… Je ne veux pas !…

Mais il l’a reprise dans ses bras. Il l’a enfermée dans sa tendresse résolue et protectrice :

— Et moi, je veux…

Appuyée contre le cœur d’Aloys, elle a fermé ses deux grands yeux bleus et il entend venir de loin, comme un murmure d’angoisse :

— Que deviendrais-je si j’allais me réveiller tout à coup ?


Mathias MORHARDT.

AMOUR ET LA GORGONE, Charles de Saint-Cyr, — «  Renaissance du Livre ». — Voici pour un livre un titre lourd à porter, car Amour, sans article, est un vocable puissant et la guerre prend, sous ce nom mythologique : la Gorgone, un masque de fatalité farouche qui s’oppose terriblement au petit dieu gai. L’œuvre n’en garde pas moins allégrement ce titre de haut relief. Quatre récits la constituent, où règnent l’amour simple et l’amour complexe, l’amour bourgeois et l’amour bohème. Curieusement écrit avec une recherche de forme qui s’apparente surtout aux réalistes ; mais ne craint pas parfois de moraliser à la façon balzacienne, Amour et la Gorgone est un roman vrai sans cesser d’être très imaginaire. L’INFÉCONDE, Edmond Gazai. — Ollendorf. Le conjoint désireux de se transmettre tout comme le Faune mallarméen voulait perpétuer les nymphes, est-il fondé à bouter hors les liens du mariage l’autre conjoint qui s’avère stérile ? Problème médiocre et dont la joviale absurdité m’apparaît patente. Tout de même, la question se pose chez les féodaux de la noblesse républicaine, paraît-il. Et Edmond Cazal a fait avec ça un bon roman, solide, équilibré, pansu. radical. LE CHEMIN DE PLAINE, E. Pérochon. Un gros volume de souvenirs personnels contés d’une plume alerte, aiguë et perspicace. La matière d’un roman à grand succès dans ce livre qui ne manque ni de talent ni de style. Tout de même, ce n’est qu’une ébauche, ou plutôt un document. Un beau, très beau document d’ailleurs et Mirbeau eût lancé comme un cranequin l’auteur du Chemin de plaine dans la littérature, où il eût réussi car l’étoffe y est. PAGES DE MON CARNET, Maurice Wullens. — «  Les Humbles. » La sincérité crue, âpre et violente, naïve et complète, n’est pas dans le caractère français. De tout temps, le peuple nourri des verbiages stériles de l’avocasserie et de la politique s’est fait une sincérité d’artifice. Wullens, en ces pages, offre une si constante et incontestable Véracité que son livre en prend à la fois l’aspect d’un roman passionnant et d’une révélation totale. On est émerveillé de trouver si curieux des faits simples et riches surtout de banalité. C’est, ce carnet de souvenirs guerriers, un morceau de vérité, et comme la vérité n’est pas un bibelot banal, il faut lire ce livre de souvenirs militaires qui ne ressemble à rien de déjà lu. LA JEUNE FILLE VERTE, P.-J. Toulet. — Émile Paul. Le délicieux roman que voilà ! Il ne faut peut-être pas louer l’auteur de faire son style comme on sculpte des grains de riz, ni de ce qu’il montre un mépris assez ridicule pour les sectes politiques qu’il déteste (encore que dans son livre, les gens qu’il aime aient aussi un rôle assez malpropre). Mais c’est le seul romancier qui rappelle Anatole France, Et cela l’excuse un peu. CHIQUITA. LA MORT DE PETITE BLANCHE par JEAN TOUSSEUL En réponse aux nombreuses demandes qui nous parviennent tous les jours, nous informons nos abonnés que nous pouvons leur envoyer ce pur chef-d’œuvre contre la somme de 4 fr. 75