Page:Fourier - Sur l'esprit irréligieux des modernes et dernières analogies 1850.djvu/10

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Les philosophes n’ont pas voulu délibérer sur cette alternative : suspecter la Civilisation ou suspecter Dieu. Ils se sont ralliés à une opinion bâtarde, l’athéisme, qui supposant l’absence d’un Dieu, dispense les savants de rechercher ses vues, les autorise à donner leurs théories inconciliables pour règle du bien et du mal, et sauve leurs ouvrages de la chute dont ils seraient menacés par l’hypothèse d’un Dieu généreux, d’une providence universelle qui aurait avisé à la confection et révélation d’un code social. L’athéisme est une opinion fort commode pour l’ignorance philosophique, et ceux qu’on a nommés esprits forts pour avoir professé l’athéisme, se sont montrés par là bien faibles de génie ; craignant d’échouer dans la recherche des vues de Dieu sur l’ordre social, ils ont préféré nier et vanter comme une perfectibilité cet ordre civilisé qu’ils abhorrent en secret, et dont l’aspect les désoriente au point de les faire douter de la Providence.

« Qui êtes-vous, vers de terre, indigne créature pour vouloir sonder la profondeur des décrets de Dieu ? » Ainsi s’expriment les superstitieux en parlant à l’homme[1].

Viennent ensuite les philosophes qui en d’autres termes reproduisent le même préjugé, en nous disant : « Arrêtez, mortels téméraires ; profanes, arrêtez ! la nature est couverte d’un voile d’airain que tous les efforts des siècles ne sauraient percer. »

Ainsi les superstitieux et les philosophes sont d’accord pour détourner l’esprit humain de l’étude de la nature. Ils rivalisent de paradoxes pour avilir Dieu et le peindre comme un être haineux et jaloux de nos lumières, avare des révélations qu’il veut au contraire porter au plus haut degré, en nous initiant à la connaissance pleine de son système.

L’athéisme, entre des mains plus habiles que celles des philosophes, pouvait conduire à de brillants résultats pourvu qu’on eût adopté l’athéisme conditionnel ou accusation simultanée de Dieu et de la raison humaine, différant à méconnaître Dieu jusqu’après le parallèle entre les opérations et les devoirs de la Raison et les opérations et devoirs d’un Dieu supposé juste.

Les superstitieux n’ont pas moins outragé la divinité, en croyant la servir. Ils veulent qu’on adore sans raisonner, qu’on révère jusqu’au tigre et au serpent à sonnettes, parce qu’ils sont l’ouvrage de Dieu. Eh ! pourquoi donc Dieu nous a-t-il donné la raison et le libre arbitre,

  1. Un ver de terre, Newton, a déterminé la théorie de la 5e branche du mouvement (la loi de la gravitation des corps célestes). N’est-ce pas un indice que d’autres vers de terre pourront déterminer les quatre autres branches de la théorie du mouvement ?