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ÉPICTÈTE.

d’Épictète, fut vendue trois mille drachmes. Elle rappelle l’écuelle de Diogène. On recueille ces récits, puérils en eux-mêmes, et cependant propres à éclairer l’histoire de la secte. Épictète, comme tous les stoïciens du reste, prêchait d’exemple. Il pratiquait son austère morale. « Il vaut mieux, dit-il lui-même, savoir pratiquer la vertu que de savoir la décrire. » La philosophie à ses yeux n’était pas dans la profondeur spéculative ou l’éloquence, mais dans l’amour et l’exercice de la vertu.

Ce fut, dès l’origine, le caractère de l’école stoïcienne, que ce mépris de la pure spéculation et cette tendance à la pratique. La subtilité déliée et un peu vaine des philosophes grecs s’était tellement donné carrière, que la philosophie ne paraissait plus qu’un amusement de l’esprit. Zénon, Cléanthe, Chrysippe, résolurent de lui rendre son caractère et son influence, et, pour cela, s’efforcèrent de l’ôter des disputes oiseuses des rhéteurs et des sophistes, et d’en faire une science vraiment virile. Ils prirent donc des habitudes de vie austères, et, dans leur doctrine, s’efforcèrent de parler au sens commun, et d’arriver sur-le-champ aux conclusions pratiques. C’est par là que leur école avait plu aux Romains, esprits positifs, assez indifférents en matière de dogmes, mais tempérants, mesurés dans leurs opinions et dans leurs actions, attirés par la gravité et l’austérité qui étaient chez eux de tradition, et vers lesquelles les portait aussi tout le génie de leurs institutions. Les Romains qui ont cultivé la philosophie, et il y en a peu, sont tous éclectiques et platoniciens en métaphysique, stoïciens en morale. C’est qu’à vrai dire la morale est pour eux tout ce qu’il y a de sérieux dans la philosophie, le reste n’est qu’un délassement. Ils effleurent la métaphysique sans s’y livrer, intéressés par le spectacle des diverses écoles, et, dans le fond, indifférents sur la solution définitive, parce qu’ils ont foi dans l’établissement des mœurs et de la société romaine, et que cela leur suffit sans chercher plus haut. Tels sont Sénèque, Épictète, Arrien, Marc-Aurèle. Ces trois derniers surtout ne sont que des moralistes. Ils laissent à Cléanthe sa logique et sa physique, et ne lui prennent que sa morale.

La logique et la physique des premiers stoïciens, délaissées par leurs successeurs, n’étaient guère à regretter. Les fondateurs du stoïcisme étaient entrés dans ces questions de principes par nécessité, parce qu’il fallait bien s’expliquer sur l’origine et la destinée de l’homme ; mais ils les avaient traitées sans profondeur véritable, et même sans une intelligence suffisante des conditions de la philosophie. Ils voulaient purger la science de ce qu’ils appelaient les rêveries de Platon, et ne rien dire que d’immédiatement acceptable. Qu’était-ce que ce monde des idées où les platoniciens mettaient la réalité tout entière, et que l’œil ne pouvait voir, que la main ne pouvait toucher ? Cette vie antérieure qui nous était attribuée sans preuves ni vraisemblance ; cette réminiscence, origine et instrument de la philosophie, n’étaient à leurs yeux que des fables. Nous savons ce que nous voyons, ce que nous sentons, ce que nous touchons : là est le vrai et le solide ; le reste n’est que fumée. La sensation cependant n’est pas toute la connaissance. Il y a encore, suivant eux, un pouvoir actif par lequel nous sommes constitués, et qui, ne possédant par lui-même aucune idée, gouverne, modifie, rassemble ou sépare les idées fournies par la sensation. C’est la raison ; voilà tout l’homme. La passion, le sentiment, ne sont rien qu’une er-