Page:Fromentin - Dominique, 1863.djvu/320

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joies de mes semblables. Je suis modeste, profondément humilié de n’être qu’un homme, mais je m’y résigne. Sais-tu quel est mon plus grand souci ? c’est de tuer l’ennui. Celui qui rendrait ce service à l’humanité serait le vrai destructeur des monstres. Le vulgaire et l’ennuyeux ! toute la mythologie des païens grossiers n’a rien imaginé de plus subtil et de plus effrayant. Ils se ressemblent beaucoup, en ce que l’un et l’autre ils sont laids, plats et pâles, quoique multiformes, et qu’il donnent de la vie des idées à vous en dégoûter dès le premier jour où l’on y met le pied. De plus, ils sont inséparables, et c’est un couple hideux que tout le monde ne voit pas. Malheur à ceux qui les aperçoivent trop jeunes ! Moi, je les ai toujours connus. Ils étaient au collège, et c’est là peut-être que tu as pu les apercevoir ; ils n’ont pas cessé de l’habiter un seul jour pendant les trois années de platitude et de mesquineries que j’y ai passées. Permets-moi de te le dire, ils venaient quelquefois chez ta tante et aussi chez mes deux cousines. J’avais presque oublié qu’ils habitaient Paris, et je continue de les fuir, en me jetant dans le bruit, dans l’imprévu, dans le luxe, avec l’idée que ces deux petits spectres bourgeois, parcimonieux, craintifs et routiniers ne m’y suivront pas. Ils ont fait plus