Page:Fromentin - Dominique, 1863.djvu/48

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celle-ci. D’ailleurs, vu de la côte élevée que nous suivions, ce double horizon plat de la campagne et des flots devenait d’une grandeur saisissante à force d’être vide. Et puis, dans ce contraste du mouvement des vagues et de l’immobilité de la plaine, dans cette alternative de bateaux qui passent et de maisons qui demeurent, de la vie aventureuse et de la vie fixée, il y avait une intime analogie dont il devait être frappé plus que tout autre, et qu’il savourait secrètement, avec l’âcre jouissance propre aux voluptés d’esprit qui font souffrir. Le soir approchant, nous revenions au petit pas, par des chemins pierreux enclavés entre des champs fraîchement remués dont la terre était brune. Des alouettes d’automne se levaient à fleur de sol et fuyaient avec un dernier frisson de jour sur leurs ailes. Nous atteignions ainsi les vignes, l’air salé des côtes nous quittait. Une moiteur plus molle et plus tiède s’élevait du fond de la plaine. Bientôt après nous entrions dans l’ombre bleue des grands arbres, et le plus souvent le jour était fini quand nous mettions pied à terre au perron des Trembles.

La soirée nous réunissait de nouveau, en famille, dans un grand salon garni de meubles anciens où l’heure monotone était marquée par une longue