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C’était une coutume, à la fin de la cérémonie funèbre, d’appeler trois fois l’âme du mort par le nom qu’il avait porté. On lui souhaitait de vivre heureuse sous la terre. Trois fois on lui disait : porte-toi bien. On ajoutait : que la terre te soit légère[1]. Tant on croyait que l’être allait continuer à vivre sous cette terre et qu’il y conserverait le sentiment du bien-être et de la souffrance ! On écrivait sur le tombeau que l’homme reposait là ; expression qui a survécu à ces croyances et qui de siècle en siècle est arrivée jusqu’à nous. Nous l’employons encore, bien qu’assurément personne aujourd’hui ne pense qu’un être immortel repose dans un tombeau. Mais dans l’antiquité on croyait si fermement qu’un homme vivait là, qu’on ne manquait jamais d’enterrer avec lui les objets dont on supposait qu’il avait besoin, des vêtements, des vases, des armes[2]. On répandait du vin sur sa tombe pour étancher sa soif ; on y plaçait des aliments pour apaiser sa faim[3]. On égorgeait des chevaux et des esclaves, dans la pensée que ces êtres enfermés avec le mort le serviraient dans le tombeau, comme ils avaient fait pendant sa vie[4]. Après la prise de Troie, les Grecs vont retourner dans leur pays ; chacun d’eux emmène sa belle captive ; mais Achille, qui est sous la terre, réclame sa captive aussi, et on lui donne Polyxène[5].

Un vers de Pindare nous a conservé un curieux vestige de ces

  1. Iliade, XXIII, 221. Euripide, Alceste, 479 : Κούφα σοι χθὼν ἐπάνοθεν πέσοι. Pausanias, II, 7, 2. — Ave atque vale, Catulle, C. 10. Virgile, En., III, 68. Catulle, 98, 10. Servius, ad Æneid., II, 640 ; III, 68 ; XI, 97. Ovide, Fastes, IV, 852 ; Métam., X, 62. — Sit tibi terra levis, tenuem et sine pondere terram ; Juvénal, VII, 207 ; Martial, I, 89 ; V, 35 ; IX, 30.
  2. Euripide, Alceste, 637, 638 ; Oreste, 1416-1418. Virgile, Én., VI 221 ; XI 191-196. — L’ancien usage d’apporter des dons aux morts est attesté pour Athènes, par Thucydide, II, 34 ; εἰσφέρει τῷ ἑαυτοῦ ἕκαστος. La loi de Selon défendait d’enterrer plus de trois vêtements avec le mort (Plutarque, Solon, 21). Lucien parle encore de cet usage : « Que de vêtements et de parures n’a-t-on pas brûlés ou enterrés avec les morts comme s’ils devaient s’en servir sous la terre ! » — Encore aux funérailles de César, dans une époque de grande superstition, l’antique usage fut observé ; on porta au bûcher les munera, vêtements, armes, bijoux (Suétone, César, 84) ; Cf. Tacite, Ann., III, 3.
  3. Euripide, Iphig. en Tauride, 163. Virgile, én., V, 76-80 ; VI, 225.
  4. Iliade, XXI, 27-28 ; XXIII, 165-176. Virgile, Én., X, 519-520 ; XI, 80-197. — Même usage en Gaule, César, B. G., V, 17.
  5. Euripide, Hécube, 40-41 ; 107-113 ; 637-638.