Page:Gagneur - Trois soeurs rivales.djvu/22

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le craindre ; aurais-tu donc éprouvé déjà quelque déception ?

— C’est un pressentiment, peut-être, murmura Gabrielle, prise d’une tristesse soudaine.

— Et vous, Henriette, demanda M. de Vaudrey, en se détournant avec froideur de Gabrielle, quelle idée vous formez vous de l’amour ?

— Ô mon Dieu ! l’aurais-je offensé, se dit avec angoisse Gabrielle, qui un instant s’était crue préférée.

— Pour se former une idée sur un sentiment, il faut l’avoir éprouvé, répondit hypocritement Henriette ; or, je n’ai jamais aimé, et je n’aimerai que l’homme que j’épouserai. On m’a toujours enseigné que le devoir de la femme était d’aimer son mari, d’élever ses enfants, de se dévouer à sa famille ; pour moi, l’amour est donc synonyme de dévouement.

— Mademoiselle, l’époux qui vous est destiné sera un mortel bien heureux, dit Paul en s’inclinant galamment, et en dissimulant sous un air de componction, la dédaigneuse raillerie qu’il adressait intérieurement à cette tirade bourgeoise.

— Oh ! vous croyez, j’ai bien mes petits défauts, répondit modestement Henriette.

— Pour celui qui aime, les défauts de la femme aimée sont des perfections, reprit Paul.

Un regard semblable à celui qui avait ému Gabrielle un instant auparavant, et qu’elle surprit entre Paul et Henriette, lui serra le cœur si douloureusement qu’une larme jaillit de sa paupière.

— Renée, c’est à votre tour, continua M. de Vaudrey, oserais-je me permettre, sans