Page:Gagneur - Trois soeurs rivales.djvu/74

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comme un vertige ; il me sembla que je faisais un de ces affreux cauchemars qui pèsent sur le cerveau comme une masse de plomb, et dans lesquels, en face du danger, on ne peut ni crier, ni faire un mouvement. Comprends-tu bien ce mot-là, toi, ma pure Renée ? M. de Morges a des droits sur moi ; je lui appartiens par un contrat en bonne forme. Depuis un mois que je vis avec cette pensée ! je n’ai pu encore m’y accoutumer, et toutes les raisons que tu pourrais me donner pour m’engager à la résignation, je me les suis adressées vainement à moi-même.

» Le devoir, n’est-ce pas, ma vertueuse sœur, voilà ton grand argument. Mais, dis-moi donc ce que c’est qu’aimer par devoir ?

» Aimer ! parole de feu que je ne puis écrire ni prononcer sans frémir tout entière !

» Aimer ! c’est se sentir électrisée par la présence de celui qu’on aime.

» Aimer ! c’est être absorbée par son souvenir.

» Aimer ! qu’y a-t-il de plus spontané, de plus irrésistible ?

» Encore une fois, qu’est-ce donc qu’aimer par devoir ? C’est faire semblant d’aimer. Mais est-ce bien toi, Renée, qui me fais cette réponse. Peut-on feindre l’amour, l’amour, cette passion divine qui fait resplendir le visage, qui fait battre le cœur, cette passion qui fait vivre ou qui tue ?

» Ah ! Renée, je suis bien malade : j’ai là, au cœur, une profonde blessure. Depuis un mois j’ai beaucoup changé, tu me reconnaîtrais à peine. Mais je m’en réjouis ; si je pouvais mourir ! Vraiment je ne vois pas d’autre issue possible à ma souffrance car je ne puis comprendre la vie sans l’amour.

» Quand on aime, tout est brillant, coloré,