Page:Gautier - Guide de l’amateur au Musée du Louvre, 1882.djvu/18

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du jet, la science du raccourci, la légèreté des draperies volantes et la chaude énergie de la couleur, nous semblent pouvoir être placées parmi les meilleurs morceaux de l’artiste, qui rarement atteint cette largeur décorative.

La Bataille d’Eylau, de Gros, fait face aux Pestiférés de Jaffa, autre chef-d’œuvre du même artiste. En ce temps de réaction classique, où tout ce qui n’était pas grec ou romain passait pour frivole et indigne d’occuper les pinceaux d’un véritable peintre d’histoire, c’était une grande audace d’aborder les sujets modernes et de fixer sur la toile des héros vivants avec le costume et les armes qu’ils portaient. Cet honneur semblait réservé aux seuls héros du De Viris illustribus. Cependant les gloires contemporaines étaient assez éclatantes pour tenter un artiste. Gros se fit le peintre de cette épopée qui, sauf Homère, vaut bien l'Iliade. Bien qu’il eût la religion de l’antique. Gros, au fond, était un peintre moderne. Il apercevait le monde contemporain et n’avait pas besoin du recul des siècles pour sentir la beauté d’un sujet et l’en dégager. C’est une qualité rare, surtout quand celui qui la possède a le don, plus rare encore, d’idéaliser le vrai et de rendre le réel grandiose. En outre, ce qui était difficile dans le milieu où il vivait et avec le respect qu’il témoigna toujours à son maître David, Gros avait le sentiment de la couleur, de la vie, du mouvement poussé jusqu’à la fougue. C’était un génie ardent, tumultueux, effréné, quoi qu’il se reprochât ces dons comme des défauts.