Page:Gautier - Guide de l’amateur au Musée du Louvre, 1882.djvu/36

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Doit-on regretter que le noir particulier qu’employait Léonard, et dont il était l’inventeur, ait prévalu dans les teintes de la Monna Lisa et leur ait donné cette délicieuse harmonie violâtre, cette tonalité abstraite qui est comme le coloris de l’idéal ? Nous ne le pensons pas. Maintenant, le mystère s’ajoute au charme, et le tableau, dans sa fraîcheur, était peut-être moins séduisant.
Quelle suavité divine, quelle délicatesse céleste dans la Vierge et sainte Anne ! Avec une familiarité charmante, la Vierge, assise sur les genoux de sainte Anne, se penche tendrement vers le petit Jésus, qui joue avec un agneau. C’est comme une douce chaîne de protection qui descend de la vieillesse jusqu’à l’enfance, et de l’enfance à l’innocente animalité. La tête de sainte Anne est charmante. Jamais vieille femme ne fut représentée d’une façon plus aimable par le pinceau d’un artiste. Les outrages du temps se sont pour elle changés en caresses. Ses belles rides sont pleines de grâce. La Vierge a un type tout particulier à Léonard ; elle est douce, tendre, souriante et comme pénétrée d’une joie secrète qui rayonne lumineusement autour d’elle. Elle est si angélique et si féminine, si virginale et si maternelle à la fois ! Son beau corps, dans cette position penchée, prend de si souples inflexions sous ses chastes draperies, qu’on dirait un pur marbre grec ployé par la fantaisie du peintre ; l’illusion est permise quand on voit ce bout de pied aux doigts élégants et sveltes, semblable à un pied de déesse antique, sortir du dernier pli de la robe. L’enfant Jésus