Page:Gautier - Guide de l’amateur au Musée du Louvre, 1882.djvu/39

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gularité piquante qui échappe d’abord à l’œil et dont le raisonnement seul se rend compte ; son pied, d’une élégance divine, habitué à fouler la lumière, effleure à peine l’épaule du démon renversé à terre et se tordant avec les efforts d’une rage impuissante. L’Archange abaisse la pointe de sa lance sur son ennemi ; mais ce n’est qu’un signe de triomphe : la lutte était terminée avant d’être commencée. Il serait impossible de rendre avec une noblesse plus idéale que ne l’a fait Raphaël, la sérénité distraite et un peu dédaigneuse de l’Archange exécutant l’ordre de Dieu sur l’ange rebelle, autrefois son compagnon de gloire. Outre le sens légendaire de la scène représentée, il semble que l’artiste ait voulu figurer l’éternelle beauté repoussant dans l’abîme la laideur en révolte contre l’harmonie suprême. Dans ce bel ange si pur, si doux et si fier pourtant , nous entrevoyons Raphaël lui-même repoussant les formes triviales et grimaçantes. Quelle légèreté aérienne , quelle force délicate, venant de la volonté plutôt que des muscles, quelle élégance surnaturelle dans cette figure volante, qui n’a rien de vaporeux cependant, et dont le dessin s’accuse avec une fermeté presque sculpturale ! elle plane par l’impulsion de son propre mouvement, par le jet irrésistible de son contour. Cette œuvre merveilleuse est signée non pas dans un coin du tableau, mais sur le bord même du vêtement de l’Archange. On lit l’inscription suivante : Raphaël Urbinas, pingebalt, M. D. XVIII. On dirait que le peintre a voulu lier son nom à son œuvre d’une façon indélébile.