Page:Gautier - Guide de l’amateur au Musée du Louvre, 1882.djvu/51

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Sur la plate-forme qui borde la balustrade, s’agite tout un monde de serviteurs portant des plats, allant chercher des vaisselles et des aiguières à d’immenses dressoirs qu’on entrevoit à travers les colonnes. Des curieux se suspendent aux saillies de l’architecture ; il y en a jusque sur le campanile, dont la blancheur tranche sur l'azur léger de ce ciel vaguement traversé de nuages laiteux et qu’on ne voit qu’à Venise ou à Constantinople, véritable ciel fait à souhait pour ce pays de coloristes. Plusieurs grands chiens, de cette race qu’affectionne Paul Véronèse, et qu’il introduit dans tous ses tableaux comme une sorte de signature, achèvent d’animer cette colossale composition, tumultueusement calme, comme toute fête bien ordonnée. Un gros chat, les quatre pattes appuyées contre une amphore, se roule et se frotte voluptueusement le dos, dans le coin, à droite.
Outre la constitution solide du dessin, l’éclat et l’harmonie de la couleur, que les années et les restaurations n’ont pu éteindre, ce qui fait le mérite de cette vaste machine, c’est que l’œil la saisit d’un seul coup. Il n’y a point plusieurs foyers de composition, comme cela arrive souvent dans les toiles d’une dimension extraordinaire. Les groupes s’enchaînent si bien par des rappels de tons ou de lignes, qu’aucun d’eux ne se détache de l’ensemble d’une façon nuisible au reste. Malgré toute cette foule, il n’y a pas confusion. Chaque personnage a bien son terrain sous ses pieds, et l’on y irait sans embarras du bord du cadre jusqu’au fond du tableau.
Cette merveille de la peinture n’a pas été payée