Page:Gautier - Guide de l’amateur au Musée du Louvre, 1882.djvu/53

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

à la belle pénitente cette profusion, dont le prix serait mieux employé en aumônes. Le Christ, d’un geste doux et majestueux, protège I'humble et tendre femme, qui suit les mouvements de son cœur, contre l’invective de l’avare apôtre. La scène se passe sous un portique circulaire, dont les entrecolonnements laissent apercevoir au loin de riches architectures. Aux deux tables sont assis les apôtres et différents personnages de la famille de Simon ou invités par lui. On dirait, à leur air de patriciens de Venise, des membres du conseil des Dix. Car, peu préoccupé d’archéologie, Paul Véronèse ne va pas fouiller dans le vestiaire des siècles pour habiller ses personnages. Il lui suffit que les étoffes soient riches de couleur et fassent de beaux plis. Si une tête a du caractère, bien que ne se rapportant pas au sujet, il la copie, aimant mieux être humain qu’historique et préférant la vérité à l’exactitude. Regardez la femme montée sur les patins de bois et s’appuyant contre la colonne, à la gauche du spectateur : quelle aisance de mouvement, quel jet libre et spontané, quel accent de nature ! De celle-là on peut bien dire qu’elle est dessinée et peinte d’après le vif, ad vitum. Ces choses ne s’inventent pas.
Le Jupiter foudroyant les Crimes, qui se trouve aussi dans le Salon carré, montre le génie de Paul Véronèse sous une forme nouvelle. Ce n’est plus ici seulement un merveilleux peintre d’apparat, déployant pour la fête des yeux de grandioses ordonnances revêtues des plus belles couleurs qu’ait jamais fournies la magique palette de Venise, c’est