Page:Gautier - Guide de l’amateur au Musée du Louvre, 1882.djvu/54

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

un artiste d’une science profonde abordant avec aisance les raccourcis les plus audacieux, dessinant le corps humain dans ses aspects les moins prévus, avec un style, une beauté et une couleur qui ne redoutent aucune comparaison.
Ce tableau, qui est un plafond, fut primitivement placé dans la chambre du conseil des Dix, au palais ducal, et l’allégorie qu’il représente s’expliquait d’elle-même. Jupiter, irrité des crimes de la terre, descend des sommets de l’Olympe, son noir sourcil froncé et secouant de sa puissante main une flamboyante poignée de foudres. Rien de plus noble, de plus majestueux, de plus homériquement antique que la figure du dieu. Au-dessous de lui un Génie, planant les ailes ouvertes et tenant un livre où sont écrites les décisions de l’éternelle justice, chasse à coups de fouet les Crimes, qui se précipitent avec un égarement tumultueux. Sa chevelure blonde se déroule en longues boucles soulevées par l’impétuosité de son vol. On dirait la descente de Phébus-Apollon au commencement de l'Iliade. Les crimes sont la Rébellion, la Trahison, la Luxure et la Concussion, punis par le conseil des Dix, et Paul Véronèse les a caractérisés d’une manière ingénieuse et poétique sans tomber pour cela dans la laideur. En peinture surtout, les monstres « par l’art embellis » doivent plaire aux yeux, et c’est là un précepte qu’un peintre vénitien n’oubliera jamais. Paul Véronèse peignit ce magnifique plafond après un voyage à Rome, où il vit l’antique et Michel-Ange. Un artiste, quelque grand qu’il soit par lui-même, ne peut que hausser