Page:Gautier - Guide de l’amateur au Musée du Louvre, 1882.djvu/55

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on style au contact de ce sublime génie. Raphaël lui-même sortit plus fort de la Sixtine entr’ouverte un moment.
On désigne ordinairement sous le nom de Titien et sa maîtresse, ou même sous ce titre plus bref, la Maîtresse du Titien, ce magnifique portrait de jeune femme dont la robe de velours vert, à moitié défaite, laisse voir la poitrine. Elle soulève d’une main un flot de ses cheveux d’un or roux si cher aux élégantes et aux coloristes de Venise et de l’autre tient une fiole de parfums. Une chemisette d’un blanc doré, dont le ton se confond presque avec le ton de chair ambrée de la peau, concentre la lumière sur cette gorge délicate et puissante, digne d’être modelée dans le marbre de Paros. La tête, un peu inclinée vers l’épaule, a la sérénité de l’idéal antique avec ce vigoureux accent de vie qui est particulier à Titien. Il semble, dans ce beau visage, avoir pressenti le type de la Vénus de Milo, qui ne fut découverte que plusieurs siècles plus tard. Titien est le plus sain, le plus robuste et le plus tranquille des artistes modernes. Chez lui, aucun effort visible ; il atteint la beauté facilement et du premier coup, comme une chose naturelle. Ses figures ont la santé, la joie sereine, l’équilibre parfait des statues grecques et des peintures antiques telles qu’on peut les supposer. Aucune fièvre, aucune inquiétude ne les travaillent et ne les déforment ; elles s’épanouissent tranquillement dans la plénitude de leur force et de leur beauté, heureuses d’avoir reçu la vie du pinceau de Titien.