Page:Gautier - Guide de l’amateur au Musée du Louvre, 1882.djvu/56

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A celle belle femme, un homme à barbe brune, et tenu dans l'ombre pour laisser resplendir la superbe créature, présente deux miroirs pour qu’elle puisse se voir sous tous les aspects. Il nous plairait que la tradition fût vraie et que cette beauté si voluptueuse et si fière eût été la maîtresse et le type inspirateur de l'artiste ; mais il paraît qu’il faut renoncer à cette poétique légende. Selon les érudits qui résolvent en faits précis les vagues traditions, l'homme aux miroirs serait Alphonse Ier, duc de Ferrare, ce quatrième mari de Lucrèce Borgia que Victor Hugo a fait si terrible, et la femme à la chevelure rousse serait Laura de’ Dianti, d’abord maîtresse du duc et ensuite sa femme. Titien l’avait peinte à demi nue lorsqu’elle n’était pas encore duchesse, et il la peignit habillée lorsqu’elle fut élevée au rang d’épouse. Si c’est là, en effet, Laura de’ Dianti, on ne peut qu’approuver Alphonse de Ferrare et trouver juste le nom d’Eustochia (heureux choix) qu’il donna à la nouvelle duchesse.
On a presque honte d’écrire des phrases élogieuses sur un pareil chef-d’œuvre, et il semble qu’on commette un béotisme en exprimant son admiration pour ce dessin grand et simple, celte couleur d’une clarté si chaude, ce modelé puissant et souple, cette fleur de vie répandue partout qui caractérisent la manière de Titien, Ce qu’on peut dire de mieux, c’est : Regardez.
Le Christ porté an tombeau est une œuvre belle, noble et sérieuse sans avoir cette profonde mélancolie chrétienne qu'exige le sujet, et que Titien n’ex-