Page:Gautier - Guide de l’amateur au Musée du Louvre, 1882.djvu/57

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

prima complètement que dans sa dernière toile représentant un Christ au tombeau, qu'il peignit à quatre-vingt-dix-neuf ans, et qui fut achevé par Palma le jeune après la mort du grand peintre, que la peste emporta presque centenaire. Les peintres de Venise excellent à rendre la joie, la santé, la richesse et le bonheur, et il fallut à Titien l’ombre de la mort prochaine pour assombrir son coloris et lui inspirer la tristesse religieuse convenable à cette scène lugubre. Cela n'empêche pas le Christ porté au tombeau d’être un tableau de premier ordre. Soutenu par Joseph d’Arimathie, Nicodème et saint Jean, le corps du Christ va être déposé dans son sépulcre ; et, vers la gauche, la Madeleine soutient la Vierge, qui s'évanouit de douleur entre les bras de la sainte. Dans les costumes on relèverait plus d'un anachronisme, et tel vêtement semble sortir de la garde-robe des doges ; mais quelle vie, quelle couleur, quelle vérité, et comme il est beau ce jeune homme en tunique jaune striée de rouge, à l’abondante chevelure rousse qui, à demi incliné, soutient le corps inerte du Sauveur !
Si Titien vécut un siècle, Giorgione (Giorgio Barbarelli) mourut à trente-trois ans, et son heureux rival lui doit beaucoup. Élève de Jean Bellin, Titien, dans ses commencements, en imite la manière un peu sèche et la naïveté encore gothique. Les tableaux et les fresques de Giorgione lui révélèrent les magies de la couleur et la largeur du modelé sacrifiant les détails à la masse. On peut dire à la gloire de Giorgione que Titien l’égala, mais ne le surpassa point.