Page:Gautier - Guide de l’amateur au Musée du Louvre, 1882.djvu/58

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On voit, au Salon carré, de ce peintre de génie dont les fresques s’effacent comme de pâles ombres sur les façades des maisons de Venise, un Concert champêtre d’une composition bizarre et d’une étonnante intensité de couleur. Au milieu d'un de ces paysages d’une richesse de ton étouffée et chaude dont Titien s’est souvenu plus d’une fois, de jeunes seigneurs font de la musique : l’un joue du luth et l’autre semble l’écouter. Au premier plan, une jeune femme nue, vue de dos, et assise sur un épais gazon d’un vert doré, approche de ses lèvres une flûte. A la gauche, une autre jeune femme, qui n’a d’autre vêtement qu’un bout de draperie blanche glissant de la hanche sur la cuisse, s'appuie au bord d’une espèce de cippe ou d’auge en marbre pleine d’eau et y plonge, pour l’emplir, une bouteille de verre. Les deux jeunes seigneurs ont d’élégants costumes vénitiens dans le goût de ceux de Vittore Carpaccio ; ils ne semblent nullement se préoccuper du contraste que présentent leurs riches habits avec la nudité de leurs compagnes. Le peintre, dans celte suprême indifférence artistique qui ne songe qu’à la beauté, n’a vu là qu’une heureuse opposition de belles étoffes et de belles chairs, et en effet il n’y a que cela. Le torse de la femme penchée vers la vasque, le dos de celle qui joue de la flûte, sont deux morceaux de peinture magnifiques. Jamais coloris plus blond, plus chaud, plus moelleux et d’une consistance plus riche ne revêtit d’opulentes et robustes formes féminines. Le Concert champêtre de Giorgione, ce tableau sans sujet et sans anecdote, n’attire peut-être pas