Page:Gautier - Guide de l’amateur au Musée du Louvre, 1882.djvu/63

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tournée de trois quart et baignée de cette chevelure aux ondes fines qu’affectionne l’école milanaise, reçoit dans son bassin d’argent, comme des oranges ou des dragées, cette tête livide aux yeux convulsés, aux lèvres bleuâtres, sur laquelle tremble encore le frisson de l’agonie. Et elle regarde vaguement devant elle, de ses beaux yeux limpides, et un léger sourire voltige sur ses lèvres charmantes. Comme elle exprime bien la cruauté douce des femmes fatales ! Ce dut être la maîtresse du peintre, car il l’a représentée bien souvent.
Mais nous n’avons encore parlé que de l’école italienne, et les écoles de tous les pays sont représentées dans ce sanctuaire de l’art par de glorieux spécimens. Rembrandt, quoiqu’il ait vécu dans la brumeuse Hollande, est aussi un dieu de la peinture, et il peut tenir son rang parmi les plus illustres. C’est un génie romantique dans toute la force du mot, un alchimiste de la couleur, un magicien de la lumière. Son œuvre pourrait être symbolisée par cette merveilleuse eau-forte où il nous montre, dans sa cellule obscure, un docteur Faust ou quelque souffleur hermétique se soulevant de son fauteuil à la vue du microcosme éblouissant qui rayonne à travers les ténèbres de son cabinet d’étude. Le génie de Rembrandt est une étoile se dégageant de l’ombre. Certes, il n’a pas la beauté plastique, l’idéal épuré et la noblesse de style des grands Italiens, mais il a trouvé un monde où il règne en maître et qu’il semble avoir créé de toutes pièces. Il s’est fait une manière bizarre, fantastique, mystérieuse et farouche qui n’appartient qu’à lui.