Page:Gautier - Guide de l’amateur au Musée du Louvre, 1882.djvu/64

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S’il n’a pas la beauté, il a le caractère, et ses figures, souvent laides, parfois monstrueuses, sont toujours profondément humaines ou pathétiques. De la vérité historique du costume il s’en soucie autant que les Vénitiens, et c’est dans le juden-grass, dans les magasins de bric-à-brac, dans les friperies cosmopolites du Rideck qu’il va choisir les turbans, les pelisses, les cuirasses, les morions et les défroques bizarres dont il affuble ses personnages. C’est là ce qu’il appelle ses antiques, et, quoiqu’il ait chez lui des plâtres et des gravures, il n’en consulte pas d’autres.
Nous avons vu Paul Véronèse dans les Noces de Cana donner à une simple noce juive l’éclat, la somptuosité et la grandeur d’un banquet royal. Il fait asseoir à cette noce ainsi transfigurée les personnages les plus illustres et les plus puissants de son époque. Rembrandt, dans sa petite Sainte Famille, use d’un procédé tout contraire. Il prend pour fond un humble intérieur hollandais avec ses murs bruns de ton, sa cheminée à hotte perdue dans l’ombre et sa fenêtre étroite par laquelle pénètre un rayon de lumière à travers les vitres jaunes ; il penche une mère sur le berceau d’un enfant, une mère, rien de plus, avec sa gorge illuminée d’une lumière oblique ; près d’elle, une vieille matrone, et à côté de la fenêtre un menuisier qui travaille et rabote quelques pièces de bois. Telle est sa manière de comprendre la Vierge, sainte Anne, l'enfant Jésus et saint Joseph. Il rend la scène plus intime, plus humaine, plus triviale, si vous voulez, qu’on ne l’a jamais peinte. Vous