Page:Gautier - Guide de l’amateur au Musée du Louvre, 1882.djvu/65

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êtes libre de n’y voir que la pauvre famille d’un menuisier ; mais le rayon qui frappe le berceau de l’enfant Jésus montre bien que c’est un Dieu, et que de cet humble berceau jaillira la lumière du monde.
Ce tableau si contraire au génie italien, c’est l’évangile traduit en langue vulgaire à l’usage des pauvres gens et des humbles de cœur que gêneraient la solennelle élégance et les attitudes rythmées des belles madones. Le sentiment remplace le mysticisme, et la puissante trivialité du génie équivaut à la pureté du style le plus classique. Ajoutez à cela une exécution merveilleuse et la magie de couleur de Rembrandt.
Rarement le peintre d’Amsterdam a fait un Portrait de femme qu’on puisse comparer pour la beauté relative du type à celui qui est placé dans le Grand Salon près de la maîtresse de Titien , dont le voisinage formidable ne lui nuit point. C’est une jeune femme de vingt-cinq ans à peu près, avec des traits réguliers un peu forts , des yeux, bruns , des lèvres épaisses et vermeilles, des cheveux abondants et crespelés d’un marron tirant sur le roux, une physionomie tranquille, avenante et douce. Une casaque bordée de fourrures lui couvre les épaules et laisse voir son col gras et souple, sa poitrine rebondie que couvre à demi une chemisette plissée. On ne saurait imaginer l’incroyable puissance de vie que Rembrandt a su prêter à cette figure baignée dans l’or fluide d’un coloris magique. Les ombres des joues, le clair-obscur du col, le ton blond du linge, le bitume chaleureux et transparent de la fourrure et