Page:Gautier - Guide de l’amateur au Musée du Louvre, 1882.djvu/67

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plus que les chimistes, et le tableau de Van Eyck en est la preuve. Dans une riche chambre gothique dont le fond, ouvert par des arcades, laisse apercevoir en perspective une ville du moyen âge avec son infini détail , une sainte Vierge , devant laquelle est agenouillé un grave personnage, incline modestement la tête sous la couronne d’or étoilée de pierres précieuses que lui apporte un ange. Rien de plus pur, de plus chaste et de plus délicat que cette Notre-Dame, encore un peu gênée par la symétrie gothique, mais déjà d’une finesse et d’une vérité de dessin incroyables. Quant à la couleur, au lieu de se carboniser avec le temps, elle s’est agatisée et a pris l'immuable éclat des pierres dures.
Il ne faut pas chercher de transition dans des pages destinées à reproduire des chefs-d’œuvre, comme ils se présentent, réunis dans la même salle sans distinction de pays, d’école ou d’époque ; ainsi nous sauterons de Van Eyck à Rubens, d’un pôle à l’autre de l’art. Le grand peintre d’Anvers figure avec honneur au Salon carré avec sa Reine Thomyris et son portrait d'Hélène Fourment, accompagnée de ses deux fils. Mais un coin de muraille ne lui suffit pas il a besoin de toute une galerie pour se déployer avec son abondance prodigieuse et son exagération titanique. Thomyris, reine des Scythes, ayant vaincu Cyrus, fait plonger, cruelle par humanité, la tête coupée du conquérant dans un vase rempli de sang, pour qu’elle puisse, même morte, se gorger de sa boisson favorite. La jeune reine, en robe de satin blanc, et entourée d’une cour farouche et sauvage