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L’ORIENT.

Chaque talent a sa patrie, qui souvent n’est pas la terre où il est né. Il existe des climats pour les esprits. M. Fromentin, quoique Français, appartient au désert. Peut-être quelque goutte de sang des Arabes chassés par Charles Martel bouillonne-t-elle encore dans ses veines ; évidemment, hors du Sahara il est exilé et ressent toutes les douleurs du proscrit.

Comme lui, nous avons éprouvé bien des fois la nostalgie de l’azur, bien des fois nous avons rêvé des pèlerinages « au céleste pays du bleu », qui n’a rien de commun avec la contrée chimérique que Ludwig Tieck désigne sous ce nom ; quelles mornes tristesses s’emparent de certaines âmes quand l’hiver semble vouloir lier le ciel brumeux à la terre boueuse par une trame de pluie, quand l’eau court sous les toits en bouffées blanches, ou ruisselle au long des vitres comme des pleurs au long d’une joue, ceux-là seuls le savent qui ont dans le cœur le sentiment de la lumière !

Ce vif amour du soleil se trahit dès les