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L’ORIENT.

de vent éteignit à l’improviste les chandelles allumées et renversa à terre la cruche de vin imprudemment posée au bord de la terrasse. La cruche fut brisée et son contenu se répandit. Le poëte irrité s’écria : « Tu as brisé ma cruche de vin, mon Dieu ! tu as ainsi fermé sur moi la porte de la joie, mon Dieu ! C’est moi qui bois et c’est toi qui commets les désordres de l’ivresse ! Oh ! (puisse ma bouche se remplir de terre !) serais-tu ivre, mon Dieu ? »

Après avoir prononcé ce blasphème, le poëte, s’étant regardé par hasard dans un miroir, se serait aperçu, à ce que raconte la légende, que son visage, par une punition du Ciel, était devenu noir comme du charbon. Vous imaginez peut-être que ce changement de couleur amena le poëte à résipiscence ? Nullement ; il fit un second quatrain encore plus audacieux, car la doctrine des soufis n’admet pas les peines futures, qu’elle trouve indignes de la miséricorde divine, et se raille des menaces que font les mollahs des supplices réservés en enfer aux infidèles qui transgres-