Page:Gautier - L’Orient, tome 2, Charpentier-Fasquelle, 1893.djvu/78

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
68
L’ORIENT.

peine, à une époque où la crédulité la plus superstitieuse régnait en Europe, aux années les plus noires du moyen âge. Le monologue d’Hamlet est découpé d’avance dans ces quatrains où le poëte se demande ce qu’il y a derrière ce rideau du ciel tiré entre l’homme et le secret des mondes, et où il poursuit le dernier atome d’argile humaine jusque dans la jarre du potier ou la brique du maçon, comme le prince de Danemark essayant de prouver que la glaise qui lute la bonde d’un tonneau de bière peut contenir la poussière d’Alexandre ou de César. Comme il s’écrie avec une mélancolie amère : Marche avec précaution ; la terre que tu foules est faite avec les joues de rose, les seins de neige, les yeux de jais de la beauté ; dépêche-toi de t’aller asseoir près de ces fleurs avant qu’elles soient fanées ; va, car bien souvent elles sont sorties de terre et bien souvent elles y sont rentrées. Hâte-toi de vider ta coupe, car tu n’es pas sûr d’exhaler le souffle que tu aspires, et du limon dont tu es composé on fera tantôt des coupes, tantôt des bols, tantôt des cru-