Page:Gautier - L’Orient, tome 2, Charpentier-Fasquelle, 1893.djvu/79

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
69
POÉSIE PERSANE.

ches ! quel profond sentiment du néant des hommes et des choses, et comme Horace, avec son carpe diem de bourgeois antique et son épicuréisme goguenard, est loin de cette annihilation mystique qui cherche dans l’ivresse l’oubli de tout et l’anéantissement de la personnalité ! Kèyam ne s’exagère pas son importance, et jamais le peu qu’est l’homme dans l’infini de l’espace et du temps n’a été exprimé d’une façon plus vive. Que vous semble de ce quatrain ? ne dirait-on pas une strophe de Henri Heine dans l’Intermezzo ? « La goutte d’eau s’est mise à pleurer en se plaignant d’être séparée de l’Océan. L’Océan s’est mis à rire en lui disant : C’est nous qui sommes tout ; en vérité, il n’y a pas en dehors de nous d’autre Dieu, et si nous sommes séparés, ce n’est que par un point presque invisible. » C’est là l’arcane du soufisme : la multiplicité dans l’unité, l’unité dans la multiplicité. Dieu est tout, et les êtres s’en détachent quelques minutes par un accident qui est la vie, mais pour y rentrer aussitôt. Dieu est comme la lumière, qui brille sur les ob-