Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/220

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Ils marchèrent, assez longtemps, à travers le jardin, des bois et des prairies, et arrivèrent enfin au bord d’un lac ; les femmes s’arrêtèrent.

— Voilà que, pareil à la défense d’un éléphant qui remonte du bain, le croissant de la lune sort de l’eau, dit l’une ; c’est bien l’heure.

Et elles frappèrent leurs mains l’une contre l’autre, donnant un signal. Bientôt un bruit de rames se fit entendre, se rapprochant rapidement ; une mince barque vint enfoncer sa proue dorée dans les roseaux du rivage. Deux noires robustes, le torse nu, la conduisaient. L’un d’eux tendit le poing à Bussy pour l’aider à monter.

— Prends garde, dit tout bas une des femmes à Bussy, ne te penche pas, ne laisse pas tremper tes doigts dans l’eau, le lac est plein de caïmans.

La barque rapidement s’éloigna. Il aperçut encore un instant sur la rive, dans la demi-obscurité, les voiles blancs de celles qui l’avaient accompagné, puis il ne vit plus que l’eau immobile, piquée de quelques lueurs d’étoiles, où le mince reflet de la lune s’allongeait en ondoyant.

Pour la première fois, il eut le sentiment d’être bien isolé, bien perdu, dans ce palais propre aux trahisons. Le lac était comme hérissé de pointes, on eût dit des rochers ; mais ils s’enfonçaient, se déplaçaient, suivaient la barque ; c’étaient les têtes horribles des crocodiles au guet.

Le marquis regrettait Naïk ; comment n’avait-il pas insisté davantage pour le suivre ? Son dévouement, si vite alarmé, était en défaut cette fois-ci. Peut-être