Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/221

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avait-il craint d’être repoussé durement par son maître, comprenant qu’il ne voudrait pas se laisser escorter à ce rendez-vous, comme s’il avait peur ? Mais qu’importait tout cela ? il avait son épée et ne craignait rien.

Une île blanche apparut, comme taillée dans un bloc de marbre, avec des clochetons, des portiques, des colonnades, de grands escaliers s’enfonçant sous l’eau. Les buissons et les bouquets de palmiers faisaient des taches sombres entre les édifices et on ne voyait aucune lumière briller. Tout de suite on aborda et les silencieux rameurs aidèrent le jeune homme à descendre ; puis, d’un violent coup d’aviron, ils éloignèrent la barque et disparurent dans l’ombre.

Il gravit rapidement les degrés, jusqu’à une terrasse vaste et déserte ; mais aussitôt, d’un palais dont on distinguait confusément la haute porte voûtée, sortit un homme, qui s’avança, et, sans dire un mot, mit le pan de sa ceinture dans la main de Bussy, puis marcha devant lui. Ils entrèrent sous un péristyle obscur, s’engagèrent dans une galerie qui, par une pente insensible, montait. L’une des parois était percée d’arcades à jour, et l’on voyait la clarté pâle du ciel dans les découpures et les festons. Un silence extraordinaire régnait ; les pas s’étouffaient dans une poussière douce qui sentait bon. Les feuillages ni l’eau ne faisaient aucun bruit.

Tout à coup, à un tournant plus obscur, il sentit qu’une petite main saisissait la sienne, et une bouche, tout près de sa joue, lui souffla à l’oreille :

— Prends garde ! ami, la Mort ne donne qu’un baiser.