Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/262

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— Ils veulent donc m’attaquer ? s’écriait le soubab ; cela ne se peut pas, puisque des négociations sont entamées entre moi et le gouverneur de Pondichéry.

— Oui, Maître du Monde, disait l’attabek d’un air placide, mais tu as bafoué ses envoyés, en remettant de jour en jour ta réponse, et le gouverneur s’est lassé, sans doute.

Tout de suite l’ordre fut donné de rassembler les armées, de rappeler les vassaux qui s’étaient retirés avec leurs troupes ; tous ne revinrent pas ; néanmoins l’armée, forte de trois cent mille hommes, fut bientôt prête à marcher.

Le matin du jour où elle devait s’ébranler, un bourreau entra dans le cachot où Mouzaffer-Cingh, le soubab dépossédé, était enchaîné avec une chaîne d’or massif. Le prince, qui sommeillait sur une pile de nattes, se leva en sursaut, croyant qu’on venait le mettre à mort. Mais le bourreau s’agenouilla sur les dalles, qu’il toucha de son front.

— Pardonne à ton humble esclave, dit-il ; il a l’ordre de te faire monter sur un éléphant, et de te conduire au milieu de l’armée, pour t’ôter la vie, au premier signe du maître, si l’ennemi était vainqueur.

— Qu’Allah soit miséricordieux ! dit Mouzaffer. Prends cette bague, c’est tout ce qu’on m’a laissé. L’arbre de santal verse son parfum sur la hache qui l’abat ; comme lui, je pardonne à l’instrument irresponsable.

Et il ôta de son doigt une bague où brillait un rubis, pareil à une goutte de sang.

L’esclave la reçut en pleurant, et la baisa comme