Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/363

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qu’un cri discordant, et il est impossible de regarder les fleurs, quand on peut contempler tes lèvres.

— Eh bien, je me tairai pour ne pas faire tort à mes doux chanteurs, dit-elle en riant, et tu oublieras vite mes lèvres en voyant le parterre de lotus. Ne me fais pas le chagrin de ne pas l’admirer, c’est moi-même qui en ai ordonné la disposition.

— C’est la fleur aimée entre toutes, dit Lila, en jetant à Bussy un regard d’intelligence.

— N’est-ce pas le symbole même de l’Hindoustan, reprit Ourvaci, puisque l’on dit que cette contrée apparut aux yeux des dieux sous la forme d’un lotus, flottant sur la mer ? Le pistil, c’est le mont Mérou, le plus haut pic de la terre ; toutes les cimes de l’Himalaya, groupées autour de lui, sont les anthères ; les pétales de la corolle représentent les différents royaumes, et les quatre feuilles du calice sont les quatre presqu’îles qui s’étendent sur la mer. N’est-ce pas ingénieux ?

Jamais elle ne lui était apparue aussi adorable. Son âme, jusque-là toujours bouleversée, avait communiqué à sa beauté quelque chose de tragique et de sombre, tandis qu’aujourd’hui, un calme divin l’enveloppait, lui donnait un charme nouveau, incomparable.

Lorsqu’elle se tut, l’interrogeant, Bussy demeura interdit : étourdi de bonheur, la contemplant avec une sorte d’avidité, il avait entendu la voix sans comprendre les paroles.

— Vois, Lila ! s’écria-t-elle en riant et en jetant son bras autour du cou de la princesse, les discours d’une