Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/378

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Alors, à l’idée qu’elle était, pour un moment, seule avec Bussy, elle éprouva une émotion étrange où le plaisir et la crainte se mêlaient.

— Il m’a comblée de bienfaits, se disait-elle, je les ai reconnus par d’odieuses trahisons. Maintenant que nos cœurs s’entendent, s’il exige l’aveu d’un amour qu’il a trop bien deviné, s’il demande enfin la récompense de sa longue et patiente peine, comment la lui refuser ? comment lui parler de la prudence et du mystère, qui doivent retarder et voiler encore notre bonheur ?

Et elle baissait la tête, avec le désir et la peur de l’entendre parler.

Il se taisait pourtant, retenu justement par la pensée de la reconnaissance qu’elle lui devait, et qu’il tremblait d’avoir l’air de réclamer. D’ailleurs, il n’avait pas épuisé encore ce pur et délicieux trouble de l’amour naissant, et il éprouvait une telle plénitude de joie qu’il ne songeait pas à rien désirer de plus que le présent ; loin de vouloir lui rien demander, il craignait de la blesser par cette persistance avec laquelle il tenait son regard attaché sur elle, et cependant il ne pouvait l’en arracher : il était fasciné par cette perfection de formes, comme l’eût été un statuaire, et trouvait d’incomparables délices à épier le charme qu’y ajoutait le moindre geste ; une façon qu’elle avait de relever la tête d’un mouvement fier et vif, le battement de ses longs cils sur ses joues, une certaine moue qui plissait la pourpre soyeuse des lèvres, et faisait frissonner de tendresse le cœur de l’amant.