Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/412

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ne m’étais pas à temps souvenu de lui, dit-il à demi-voix ; quelques heures d’oubli encore, c’était fini, et ma douleur eût été profonde. Pourquoi ? je ne sais ; quel attrait m’attire vers lui ? pourquoi, parmi ceux qui peuplent ma solitude, est-il le mieux aimé ? est-ce uniquement parce qu’il possède la triade magique : l’harmonieux équilibre du cœur, de l’esprit et du corps, qu’il est bon, intelligent et beau ? N’importe, aujourd’hui que je lui rends la vie, il me semble qu’il est mon fils.

Il se pencha vers le jeune homme, lui releva doucement les cheveux et le baisa sur le front.

Bussy ouvrit les yeux, regarda longuement le fakir, puis un faible sourire desserra ses lèvres.

— Me connais-tu ? demanda Sata-Nanda.

— Tu es quelqu’un que j’aime ; qui ? je ne sais pas.

— Ah ! s’écria Arslan, ce n’est donc pas un rêve ! Il est sauvé !

La convalescence fut longue, les forces lentement revinrent.

Mais l’esprit restait affaibli, et le jeune homme eut une rechute terrible le jour où, sur ses instances, on le mit au courant des désastres qu’avait causés sa maladie : la retraite ordonnée par lui, la fuite du roi à Hyderabad, la capitale occupée par l’ennemi :

— C’est elle ! cria-t-il, elle m’a déshonoré !

Et il tomba comme foudroyé.

Sata-Nanda eut besoin de toute sa science pour le rappeler à lui.

Quand il se releva, ce n’était plus le même homme ; on eût dit que le meilleur de lui-même était mort,