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le second rang du collier

tout ce qui prend fin. Toi, qui n’en es qu’aux premières étapes de la vie, tu ne peux peut-être pas comprendre cela ; mais quitter même un endroit où l’on n’a pas eu beaucoup d’agrément, où l’on a trimé ferme et enduré pas mal d’embêtements, c’est un arrachement pénible. Toutes sortes de fils invisibles se cassent, dans cette atmosphère où vous avez tissé lentement votre vie ; vos idées, vos rêveries, vos peines et vos joies, pendant des années, ont imprégné les murs, enveloppé les objets, formé ce capitonnage particulier qui fait le bien-être du chez-soi : tout cela est disloqué, dispersé, détruit, il faut du temps pour que cela se refasse. Et puis, c’est une période de l’existence que l’on tranche, brusquement, pour la jeter dans le passé.

Si je comprenais, moi, qui avais été tant de fois transplantée !… Mais je pensais que la peine était surtout d’être séparé de ceux qu’on aime, et c’est ce que je ne sus pas exprimer.

— Cependant, ajouta mon père, je ne tiens à rien et j’adore les voyages ; arrange cela comme tu voudras : l’homme est plein de contradictions !

Marianne apporta la soupe, une julienne fumante et qui embaumait. Annette avait tenu à honneur que son dîner fût aussi bon, ce jour-là, qu’à l’ordinaire, et n’avait préparé, à l’avance, que des mets qui gagnent à être réchauffés, ou qui sont meilleurs froids. Nous prenons, à table, les places que nous occuperons chaque jour : moi, à la droite