Page:Gautier - Les Deux Etoiles.djvu/114

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fantaisie anatomique de disséquer un corps de gentleman, et de promener son scalpel dans les filtres de l’aristocratie ; et ses pourvoyeurs ayant trouvé Benedict un sujet convenable, s’en étaient emparés pour le livrer, contre un nombre suffisant de guinées, à ce docteur délicat.

Mais comment s’expliquer que Sidney, son ami d’enfance, son camarade de cœur au collège d’Harrow, eût joué un rôle dans cette épouvantable machination, et le plus horrible, celui du bœuf privé qui conduit le taureau sauvage dans le cirque ou l’abattoir ?

En allongeant le bras, Benedict sentit le commencement d’un escalier, et, comme tous les hommes de cœur, aimant mieux aller au-devant de la mort que de l’attendre morne et stupide, il glissa son corps à travers l’entrebâillement de la trappe, qu’il n’avait pas pu renverser à cause de son poids, et il commença à descendre les marches, faisant arc-boutant de son bras, qui tremblait et fléchissait presque ; puis, jugeant qu’il avait assez descendu pour que la trappe ne lui écrasât pas le crâne en se fermant, il abaissa la tête et retira sa main.

La trappe, abandonnée à elle-même, s’abattit avec un bruit lugubre, comme le couvercle d’une bière qui retombe et se ferme sur un mort.

L’écho obscur du souterrain rendit ce son encore plus sinistre et plus lamentable.

Quelque intrépide que fût l’âme de Benedict, il se sentit froid dans la moelle des os et il se dit en lui-même :

— Si l’oreille entend lorsque le corps est cousu