Page:Gautier - Les Deux Etoiles.djvu/134

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ment, rien que le cri des poulies fouettées par les derniers souffles de la rafale ; ce sommeil était trop profond pour être naturel. En effet, la belle Jenny ne dormait que d’un œil, car la yole ne fut pas plutôt dans ses eaux qu’une tête se leva au-dessus du bastingage, et se penchant vers le fleuve, murmura d’une voix basse mais distincte :

— Ohé ! là-bas, de la yole ! ohé ! est-ce vous ?

— Oui, répondit sur le même ton Saunders, et voici le mot de passe : « Le crabe marche de travers, mais il arrive. »

— Sage maxime, ajouta Mack-Gill en se présentant au sommet de l’échelle.

Le canot s’était rangé tout à fait sur le flanc de la Belle Jenny, et Saunders tenant toujours d’une main le bras d’Arundell, et de l’autre empoignant une des cordes de tire-veilles, commença à gravir l’échelle escarpée. Arundell eut un instant l’idée de se laisser tomber, mais la main de Saunders l’étreignait comme un étau, et d’ailleurs les autres compagnons, montant immédiatement après lui, avaient les doigts à la hauteur de ses talons, et l’eussent probablement retenu. Il eût pu aussi rouler dans le canot resté en bas.

Toute tentative d’évasion était donc impossible ; il continua son ascension aussi lentement que s’il eût monté les échelons de la potence, car il sentait que chaque pas qu’il faisait l’éloignait d’une immensité de miss Amabel. Son transport opéré avec tant de précaution et de mystère sur un vaisseau qui semblait l’attendre annonçait un projet médité depuis longtemps ; tous ces agents silencieux obéissaient à une volonté dont le but restait impénétra-