Page:Gautier - Les Deux Etoiles.djvu/139

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déferlèrent les voiles qui s’ouvrirent à la brise en palpitant avec bruit, comme des ailes d’oiseaux de mer qui voudraient s’envoler ; mais, retenues par les écoutes, elles se creusèrent, s’arrondirent, et donnant leur impulsion à la Belle-Jenny, la firent gracieusement pencher dans son sillage.

Mack-Gill, debout près de l’habitacle de la boussole, éclairée par une lueur tremblotante, tenait la roue du gouvernail, et guidant la Belle-Jenny, aussi sensible à l’impulsion qu’un cheval à bouche délicate à l’action du mors et de la bride, il la redressait, l’infléchissait, évitant les rencontres des navires et des barques, que les approches du jour commençaient à faire sortir de leur torpeur et qui se croisaient en tous sens sur le large fleuve.

Le matin commençait à se lever ; des lignes de lumière blafarde sillonnaient les épais bancs de nuages. Les feux rouges des bateaux-phares pâlissaient sensiblement, éteints par les lueurs du jour naissant ; les rives du fleuve, à peine visibles, reculaient à l’horizon, et les eaux jaunes bouillonnaient en lames plus larges. L’approche de la haute mer se faisait sentir, et la Belle-Jenny, bercée par le roulis, enfonçait et relevait sa proue entourée d’un flot d’écume.

Benedict à moitié assoupi se tenait accoudé sur son oreiller de crin lorsqu’un craquement de la porte le réveilla tout à fait.

Le panneau glissa dans la rainure, et l’homme au manteau noir parut sur le seuil de la cabine.

La chambre était sombre, et Benedict ne put tout de suite distinguer les traits de celui qui venait ainsi troubler sa solitude ; l’ombre du grand