Page:Gautier - Les Deux Etoiles.djvu/154

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avait joué près d’Edith la comédie du malheur ; il s’était prétendu opprimé, méconnu, forcé de rester dans son humble sphère par les invincibles préjugés de l’aristocratie, et avait soutenu que la fille de lord Harley ne pouvait aimer qu’un lord, pair d’Angleterre, à la mode et jouissant d’une immense fortune. Ces choses dites simplement, d’un air résigné et froid, avec des yeux brûlant d’une passion contenue, provoquaient la nature noble et chevaleresque d’Edith à quelque folie de dévoûment consolateur.

Elle avait voulu jouer le rôle de la Providence pour ce génie obscur, pour cet ange exilé qui n’était qu’un démon ; puis elle s’était donnée, prenant la pitié pour de l’amour : la passion vraie de Volmerange lui avait bientôt fait sentir à quel point elle s’était trompée ; et d’ailleurs, Xavier, sûr de son triomphe, n’avait pas tardé à se démasquer, et loin de s’opposer, comme on aurait pu le croire, à l’union d’Edith et de Volmerange, il l’avait en quelque sorte exigée de celle-ci dans quelque dessein sinistre et ténébreux impossible à comprendre. En outre, Volmerange était si éperdûment amoureux d’Edith, qu’un semblable aveu eût pu faire craindre pour sa raison. Edith, jusqu’à un certain point, pouvait se croire encore digne d’être aimée d’un homme d’honneur, et son silence n’était pas une perfidie.

Quand Volmerange entra, Edith comprit qu’elle était perdue ; le comte s’approcha du lit avec une lenteur automatique et tendit le papier au visage de la jeune fille éperdue et pelotonnée dans ses couvertures par un mouvement de crainte instinctive.