Page:Gautier - Les Deux Etoiles.djvu/182

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La poésie mystérieuse de l’Inde semblait personnifiée dans cette belle fille, éclatante et sombre, délicate et sauvage, luxueuse et nue, faisant appel à toutes les idées et à tous les sens ; aux idées par ses tatouages et ses ornements symboliques ; aux sens, par sa beauté, son éclat et son parfum ; l’or, les diamants, les perles, les fleurs faisaient d’elle un foyer de rayons dont les moins vifs n’étaient pas ceux de ses prunelles.

Elle vint ainsi jusqu’au divan avec des ondulations allanguies pleines d’une chaste volupté, appuyant un peu le talon comme Sacountala sur le sable du sentier fleuri, et quand elle fut parvenue en face de Volmerange, elle s’agenouilla et se tint dans la même attitude de contemplation respectueuse que Laksmi admirant Wishnou couché dans sa feuille de lotus, et flottant sur l’infini, à l’ombre de son dais de serpents.

Malgré toutes les raisons qu’il avait de se croire éveillé, Volmerange dut penser qu’il était le jouet de quelque hallucination prodigieuse. Il y avait si peu de rapports entre les événements de la nuit et ce qui se passait qu’on eût pu s’imaginer à moins avoir la cervelle dérangée, et cependant rien n’était plus réel que l’être charmant incliné à ses pieds.

Cette scène faisait à Volmerange une impression profonde. Sa mère était Indienne et d’une de ces races royales dépossédées par les conquêtes des Anglais. Les gouttes de sang asiatique qui coulaient dans ses veines, mêlées au sang glacé du nord, semblaient en ce moment couler plus rapides et entraîner dans leur cours la portion euro-