Page:Gautier - Les Deux Etoiles.djvu/254

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D’immenses nuages noirs se déployaient comme des draperies funèbres : l’Océan, remué jusque dans ses profondeurs, se soulevait et poussait des sanglots, et dans le vent semblaient gémir les strophes de désolation d’un chœur invisible ; on eût dit que les trois mille Océanides venaient pleurer sur le Titan !

Sainte-Hélène, au milieu de l’écume qui fumait autour d’elle comme les trépieds autour d’un catafalque, avait l’air plus lugubre encore que d’habitude. L’orage lui mettait au front un sinistre diadème d’éclairs.

Déjà des signes avaient eu lieu dans le ciel comme à la mort de Jules-César et de Jésus-Christ. Une comète sanglante avait traîné sa queue au-dessus de l’île maudite, et les nuages, incendiés par les fournaises du couchant, prenaient l’aspect de grands aigles agitant dans la flamme leur envergure gigantesque. Mais jamais la nature, ordinairement si impassible, n’avait paru si palpitante, si effarée, si hors d’elle-même que ce soir-là.

L’Océan envoyait au ciel ses larmes amères, le ciel pleurait avec ses cataclysmes, et la tempête résumait dans sa grande voix le cri de désespoir de toute l’humanité.

Quelqu’intrépide qu’il fût, sir Arthur Sidney se sentit troublé et découragé devant cette formidable tristesse des éléments. Que se passait-il donc pour mettre ainsi la nature en deuil ? quelle grande âme près de s’envoler en emportant avec elle la pensée du monde, quel Dieu en criant sur sa croix le Lamma Sabacthani des suprêmes convulsions,