Page:Gautier - Les Deux Etoiles.djvu/256

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souricière ; mais quand la bière est tirée, il faut la boire.

Saunders acquiesça d’un signe de tête à cette idée délicate.

Un mouvement de rage saisit Sidney. Périr aussi misérablement à cause d’une tempête stupide, au moment d’accomplir ce plan auquel il avait tout sacrifié ! Il se passa en lui une de ces révoltes forcenées de l’intelligence contre la force brutale, de l’âme contre l’élément, et il prononça dans son cœur un de ces blasphèmes que les géants durent rugir sous la foudre.

La lampe s’éteignit.

Jack et Saunders dirent : — Bonne nuit ! la chandelle est soufflée.

Le canot talonna fortement, et Sidney, s’élançant au panneau d’écoutille, fit entrer, avec une lame d’eau, une bouffée d’air. La quille s’était engravée dans le sable, et comme les saillies du rocher rompaient la vague, l’eau était moins turbulente à cet endroit qu’ailleurs. Sidney put sauter à terre avec un bout de corde et attacha le canot à un énorme bloc de granit tombé là par suite de quelque éboulement. Jack et Saunders eurent bientôt imité Sidney, et ils montèrent tous les trois sur la plateforme où Benedict était venu trouver son ami à la dernière visite.

Là, ils n’avaient pas à redouter d’être emportés au large par la retraite de la houle ; la tempête ne pouvait leur envoyer que l’insulte de son écume.

Ils restèrent deux heures sur le rocher, ruisselants, éblouis d’éclairs, trempés par la brume