Page:Gautier - Les Deux Etoiles.djvu/275

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de prudence, lui conseilla de se brunir la figure et les mains avec du jus de coloquinte, car son teint un peu blanc aurait pu le trahir.

Ces précautions prises, le pêcheur détacha sa barque, et le cheval qui s’était avancé jusqu’au bord de l’eau, voyant qu’on n’avait plus besoin de lui, s’élança après avoir humé l’air bruyamment, du côté de la colline où se trouvait sans doute son pâturage.

Nous ne suivrons pas jour par jour Volmerange dans sa navigation, qui fut longue ; bornons-nous à dire qu’il regagna heureusement la côte, et après avoir récompensé le pêcheur avec une des pierres précieuses qui ornaient la poignée de son sabre, il monta sur un vaisseau français qui naviguait dans le golfe du Bengale et s’était arrêté à l’embouchure du fleuve pour faire de l’eau.

Comme il revenait seul, ou tout au plus accompagné par le souvenir de deux femmes mortes, Edith noyée par lui et Priyamvada tuée à ses côtés par une balle, il ne mit pas, à beaucoup près, quoique la distance fût grande, le même temps à revenir en Europe qu’Edith et sir Benedict Arundell.

Une force secrète le ramenait malgré lui à Londres, d’où tant de raisons auraient dû l’éloigner. Peut-être obéissait-il à ce magnétisme singulier que les hommes ressentent comme les animaux, et qui les fait revenir au même endroit après chaque violente attaque de la destinée qui les en a fait sortir, comme des taureaux dans la place, qui retournent toujours à leur querencia jusqu’à ce qu’ils meurent.