Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/163

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sans que madame de M*** eût été obligée de s’en apercevoir, tant l’opération avait été conduite avec prudence et délicatesse.

Vous croyez peut-être que Rodolphe, pendant toutes ces manœuvres anacréontiques, avait la bonhomie de parler de son amour à madame de M***. Si vous croyez cela, vous êtes un grand sot, ou vous n’avez pas une haute opinion de la perspicacité de mon héros.

Devinez de quoi il lui parlait ? Il lui parlait du nez d’une de ses amies intimes qui devenait plus rouge de jour en jour, et s’empourprait d’une façon toute bachique ; de la robe ridicule qu’avait madame une telle à la dernière soirée ; de l’improvisation de M. Eugène de Pradel, et de mille autres choses également intéressantes, à quoi madame de M*** prenait un singulier plaisir.

De passion et d’amour, pas un mot. Il ne voulait pas l’avertir et la mettre sur ses gardes. Cela eût été par trop naïf. Parler d’amour à une femme qu’on veut avoir avant d’avoir engagé le combat, c’est à peu près agir comme un bravo qui vous dirait, avant de tirer son stylet : — Monsieur, si vous voulez avoir la bonté de le permettre, je vais prendre la liberté grande de vous assassiner.

Ouverture des hostilités.

— Il y avait sous la Régence une habitude charmante que l’on a laissé perdre, et que je regrette du fond de mon cœur, dit Rodolphe, sans transition aucune.