Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/198

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rodolphe. — Faites-nous la grâce de nous communiquer le motif de votre hilarité, afin que nous la partagions.

le mari. — Permettez-moi de déboutonner mon gilet, j’ai mal aux côtes. (D’un ton tragique.) Vous voulez savoir pourquoi je ris, jeune homme ?

rodolphe. — Je ne désire pas autre chose.

le mari, du même ton. — Tremblez (Avec sa voix naturelle.) Approchez, monstre, que je vous dise cela dans le tuyau de l’oreille.

rodolphe, digne. — Eh bien ! monsieur ?

le mari, avec l’accent de J. Prudhomme. — Vous êtes l’amant de ma femme.

madame de m***. — Si vous continuez sur ce ton-là, je m’en vais ; vous me direz quand vous aurez fini.

rodolphe, jouant l’homme atterré. — L’amant de votre femme ?

le mari, se frottant les mains. — Oui ; vous ne saviez pas cela ?

rodolphe, naïvement. (À part.) — J’en ai eu la première nouvelle. (Haut.) Mon Dieu non ! et vous ?

le mari. Ni moi non plus. Et, de cette façon, je serais le dernier[1] de M. Paul de Kock ; mino-

  1. Dans deux ou trois mille ans, les commentateurs pourraient être embarrassés dans ce passage, et ils se tortureraient inutilement pour l’interpréter. Nous leur éviterons cette peine. En ce temps, il venait de paraître un roman de M. Paul de Kock, intitulé le Cocu. Ce fut un scandale merveilleux ; une affiche colossale se prélassait effrontément à tous les coins de rue et derrière les carreaux de tous les cabinets de lecture. Ce fut un grand émoi parmi toute la gent liseuse. Les lèvres pudibondes des cuisinières se refusaient à prononcer l’épouvantable mot. Toutes les virginités de magasin étaient révoltées ; la rougeur monta au front des clercs d’huissiers. Il fallait bien pourtant se tenir au courant, et demander le maudit roman. Alors (admirez l’escobarderie !) fut trouvée cette honnête périphrase : — Avez-vous le dernier de M. de Kock ? — Dernier de M. de Kock, par cette raison, a signifié cocu pendant quinze jours, et c’est à quoi M. de M*** fait allusion, avec sa finesse ordinaire.