Page:Gayda - Ce brigand d’amour !, 1887-1888.djvu/4

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si fort. C’est d’son âge, après tout, si elle s’a amouraché, c’te jeunesse ! Et puis elle n’a point trop mal choisi ; Pierre n’est point du pays, c’est vrai ! mais il est gaillard et solide à l’ouvrage.

— Tu peux point savoir, répondit la mère ; tout d’même j’ai mon idée, comm’ça, et si not’fille elle voulait s’laisser mener et n’point faire la dinde avec son grand benêt d’Pierre…

— Quelle idée qu’t’as donc ? fit le père.

— Écoute, reprit la femme devenant astucieusement tendre, t’est’il point avis qu’t’as assez trimé à piocher la terre et qu’si not’fille d’venait maîtresse d’la ferme tu s’rais ben aise d’te r’poser un brin à c’t’heure…

Et comme le vieux paysan faisait sans doute un geste de surprise :

— Laisse-moi t’dire, continua-t-elle ; j’suis point folle et c’que j’pense pourrait ben s’faire. Tu sais qu’not’maître est r’venu s’installer ici pour toujours après avoir cédé sa boutique d’la ville. D’puis son arrivée, j’m’ai aperçu qu’il faisait les yeux doux à la Marion. Elle est d’son goût à c’vieux polisson ; c’est facile à voir, à ses manières d’rôder autour. Ben sûr, il voudrait point l’épouser, pardine ! Mais si elle voulait fauter avec lui, y d’mand’rait pas mieux, le coquin de coq ; seul’ment si après ça la Marion d’venait grosse on pourrait facilement l’am’ner à la conduire chez m’sieu l’maire comme les parents de la Martine ont fait avec le gars d’leur fermier, pas vrai ? Et alors, tout l’argent d’not’maître, et la ferme, et tout, ça s’rait quasiment à nous et nous pourrions rester les mains sur l’ventre à nous gratter les pouces, hein ! qu’en dis-tu ?

— Hum ! c’est une idée çà ; faudra voir… répondit le père.

Et ils montèrent se coucher.

Plus morte que vive, Marion remonta vite au lit, où elle se roula dans ses draps, faisant semblant de dormir.

Enfin, elle connaissait le mot de cette énigme contre laquelle sa tête se brisait désespérément tout à l’heure… La seule pensée de ce marché honteux conclu dans l’esprit de ses parents cupides la secouait d’horreur. Non, c’était impossible ! Il ne s’accomplirait pas, cet odieux trafic ; elle irait se jeter, suppliante, aux pieds de son maître et le conjurerait de ne l’accepter point ; ou bien, elle se tuerait, tout simplement, sans rien dire ; elle se noierait dans les abreuvoirs ou dans la mare ; cela valait mieux que cette infamie…

La nuit entière se passa pour elle dans ses lugubres projets, une nuit lente qui semblait ne jamais devoir finir. Pourtant,