Page:Ginguené - Lettres sur les Confessions de J. J. Rousseau, 1791.djvu/19

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paſſions, étrangère aux plaiſirs des ſens, égarée, dès ſon enfance, par la philoſophie intéreſſée de ſon premier ſéducteur ; dépravée par ſa raiſon, ſes goûts ; ne mettant à la chaſteté nulle importance, parce qu’il ne lui eût rien coûté d’être chaſte ; ſe faiſant une habitude de céder, par froideur de tempérament ; regardant la jouiſſance comme un acte indifférent en ſoi, mais qui acquiert un prix par celui que les hommes y attachent ; ne voyant enfin, dans ce qui fait, d’après nos inſtitutions, la deſtinée de tout ſon ſexe, qu’un moyen aſſez doux de s’aſſurer des amis dans le nôtre ; & ne s’abaiſſant jamais, dans les poſitions les plus urgentes, à vendre ces mêmes faveurs qu’elle accordoit avec ſi peu de ſcrupule.

Tout cela eſt fort bien ſans doute ; & joint à tant de qualités aimables, à tant de charmes, & même de vertus, juſtifie ce que dit Rouſſeau ; « Que ſi Socrate put eſtimer Aſpaſie, il eût reſpecté Madame de Warens ». Mais qui ne voit que ce reſpect eût été de la même eſpèce que l’eſtime accordée par le plus ſage des hommes à une courtiſanne d’Athènes ; que ni cette eſtime ni ce reſpect ne ſont tels qu’ils puſſent contenter une honnête femme ; que ſi, dans la ſuppoſition faite, Socrate eût placé Madame de Warens au-deſſus d’Aſpaſie, c’eût toujours été dans la