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FLORENCE

d’un ennemi des patriotes ! Ah ! pourquoi ne suis-je pas mort avant d’avoir connu cette affreuse vérité ? Mais, je suis fou, cela ne se peut pas. Florence, dis que je n’ai pas bien entendu !

En ce moment, le jeune homme semblait transfiguré par le paroxysme de sa douleur et par l’immensité du sacrifice qu’il allait accomplir.

— Baptiste, commanda-t-il en le voyant entrer dans le salon, écoute bien ce que je vais te dire. Va trouver M. Brown, sans perdre un instant, et dis-lui que je lui demande son meilleur cheval de selle. S’il te fait quelque observation, tu lui répondras que c’est pour la cause des patriotes.

À peine Baptiste fut-il parti que le jeune homme s’affaissa sur un sofa en pleurant comme un enfant, et en se tordant les bras de désespoir.

— Florence, la fille d’un de mes ennemis ! répète-il sans cesse. Elle, pour qui j’aurais donné mille vies ; elle, pour qui j’aurais senti ma chair crépiter sur un gril, sans mot dire ; elle, dont un seul baiser m’eût fait mépriser la distance, la faim, la soif, le froid, faut-il donc que je la quitte pour toujours ?… Non, cela ne se peut pas, cela ne sera pas, j’abandonnerai tout, plutôt. Florence, viens avec moi, et fuyons jusqu’aux extrémités du monde. Ta volonté sera mienne, tes désirs seront miens. L’amour, après tout, n’est-il pas le seul bienfait réel, le seul bien durable, le seul dont il vaille la peine de s’occuper ? Adieu ! cause sacrée de la patrie ! Aujourd’hui, ton étincelant soleil a lui une dernière fois pour moi. Je ne suis plus un fils du Canada, je suis un étranger, un paria, je suis tout, excepté un Canadien-français. Mais cette femme l’em-